[Background] - Selin Briarugnierk

"Il n'est pas rare que j'oublie des choses; ce que j'ai mangé lors de mon dernier repas, la route à emprunter, une discussion avec un ami, mes clefs, mon repas ... Mais en général, je finis toujours par me souvenir. Sauf pour une chose. Une seule. Qu'était ma vie, avant, lorsque je ne vivais parmi ces boules de poils égoïstes et cruelles ?"
Question intéressante s'il en est : je me la suis posée durant toute mon enfance et même après, avec quelques variantes.  


" Pourquoi n'ai-je pas de poils dis ? Pourquoi n'ai-je pas non plus de queue ou de griffes ? Pourquoi suis-je si sensible aux éléments qui nous entourent ? Pourquoi dois-je bosser plus que les autres ? "
Voilà les questions qui rythmèrent le quotidien de mes "parents" adoptifs dés que je su m'exprimer.
En effet, je n'avais et n'ai toujours pas actuellement, souvenance d'avoir vécu avec des êtres comme moi. Pour ma petite personne, le monde se résumait à ce que mes cinq sens percevaient depuis que j'avis environ 3 ans : la douceur d'un pelage lorsqu'il est bien entretenu; l'odeur forte et chaude d'un Shugo moyen; l'éclat des pièces d'or disparaissant furtivement dans un coffre lourd; le son de leurs voix au timbre si aiguë et aigre; leur nourriture proprement dégueulasse.
Or, avec ce que je percevais de ce monde étrange et dur, je percevais aussi au fur et à mesure que le temps passait, que j'étais très loin d'appartenir à cet univers. En bonne future Daeva - que je saurai être seulement quelques années après -, la curiosité me poussait donc à chercher et à comprendre quelle était cette anomalie en moi qui faisait que, j'avais beau faire, faire et défaire, je ne ressemblais en rien à ce qui était à l'époque, un idéal : un Shugo.
A vrai dire, tout le monde semblait savoir ce qui n'allait pas chez moi. Mais en tout cas, personne ne voulait me l'expliquer. Je travaillais donc dur - en partie parce que j'y étais forcée, mais aussi pour tenter d'acquérir un statut que je n'aurai jamais - dans la fournaise qu'est Théobomos, dés que je su marcher et comprendre ce que l'on me disait. Aucun autre avenir que la promesse d'un nouveau lendemain de dur labeur ne se dessinait, jusqu'au jour où ...


"Qui est cet être si laid là-bas ? Il est si grand ! Il n'a même pas de poils et a la voix si grave ... Beurk ! Mais attendez ... Ne serait-ce pas une variante de moi, ce truc hideux qui vient traiter avec nous ?"
Les temps changent, les choses se modifient et le destin, allié à la chance, est particulièrement joueur. La question précédente, fut exactement la réflexion que je fis lorsque je vis mon premier humain - ou Daeva, je ne sais plus. Je n'ai même pas regardé s'il avait des ailes à vrai dire. J'avais tout au plus une douzaine d'années et je venais de découvrir qu'il existait d'autres choses moches comme moi dans ce monde.
Et devinez ce que j'ai pensé ? "Le pauvre, déjà qu'il est hideux, les Shugos ne semblent en plus ne pas l'aimer. Moi au moins, j'ai eu la chance d'être acceptée parmi eux, même si je suis une sous-race, ou atteinte d'une maladie étrange."
Oui oui oui. Je plaignais sincèrement cet homme trop grand, pas assez poilu, avec son odeur étrange et sa voix trop grave.
Et j'imagine aujourd'hui, que s'il m'avait remarquée lors de son passage, il avait lui aussi du me plaindre, en imaginant les déplorables conditions de vie dans lesquelles je devais vivre, ainsi que les traitements que je recevais.
Le pire, c'est qu'il n'aurait pas eu tort.
Mais sa venue rendit pourtant mon quotidien moins difficile, même après son départ : il avait ré-alimenté le feu de mes questions et il arrivait que parfois, l'un des contre-maître me prenne à rêver sur un chantier où je me devais d'accomplir quelques petites tâches.
Oui, parfois, j'imaginais un monde où il serait bien doux de trouver d'autres gens comme moi. Un monde de gens laids, mais de gens gentils, à la voix calme et profonde ...


"Oui, il existe d'autres gens comme toi. Un jour, tu les rejoindras."
Si je m'attendais à entendre cela un jour ! Lorsque j'eu environ 16 ans et que déjà, je dépassais d'une bonne tête le plus grand Shugo du village, on décida de m'apprendre le langage de l'homme que j'avais un jour croisé : on m'expliqua que c'était le mien.
Ces cours m'évitant les tâches pénibles auxquelles je me livrais avant, j'y trouvais un certain plaisir. De plus, je découvrais une nouvelle partie de moi, qui, instinctivement, répondait aux questions implicites que je me posais parfois le soir, avant de dormir, sur ma condition parmi les Shugos.
Mais si j'avais su à quoi tout cela me menait ! Peut-être, aurais-je mis moins de cœur dans cet ouvrage-là.
En effet : un jour, je le savais, je devrais quitter cette "famille d'accueil". Mais je ne m'attendais pas à être vendue à la première caravane venue. Je cru saisir, alors que celle-ci s'éloignait, avec moi à son bord, que j'étais "une bouche improductive de moins à nourrir". Je me suis alors fait la réflexion que le monde des affaires n'était pas tendre.
Donc, j’atterrissais dans une caravane, pleine de gens hideux, comme moi. J'en dénombrais au total une quinzaine - car la première chose qu'on apprend chez les Shugos, ce sont les chiffres.
Je les observais tous, curieuse et attendrie, de les voir se complaire ainsi dans leur laideur, se rasant le peu de poils qui poussaient sur leur visage, par exemple.  J'avoue que la première fois que je vis ceci, j'eu un choc. Mais bon, à chacun ses lubies.
Je remarquais aussi, qu'ils n'étaient pas du tout près de leurs sous, contrairement à mes anciens "employeurs" (cela reste le terme qui leur convient le mieux. Aucun lien affectif ne peut me permettre de les qualifier de "famille" sans une certaine ironie.) : il arrivait que, régulièrement, on me jeta une pièce ou deux, juste pour me voir courir après - comme n'importe quel Shugo digne de ce nom l'aurait fait.
Puis, on m'en donna contre de menus services, et autres gentillesses, qu'à l'époque, je ne comprenais guère, mais que j'exécutais sans autre forme de procès : "les pièces sont ce qui importe le plus !" - dixit tous les Shugos du monde.
Pour faire le résumé du résumé, j'étais la seule fille (on ne pouvait guère parler de femme, à l'époque), dans une caravane d'hommes, faisant un long, très long voyage, loin de toute civilisation et de toute présence féminine depuis un bout de temps.
J'ai donc entre autre appris à faire la cuisine et quelques menus antidotes du coup.
Je me pris de passion pour cette activité - la création de trucs culinaires ou médicaux, bande de sales. Et bien vite, j'en vint à créer mes propres médecines. Et que je découvris du même coup, les usages du poison.
C'est sans doute ce qui à, en partie, fait ce que je suis aujourd'hui.


N'ayant rien connu de plus que cette caravane, qui n'était guère mieux que mon précédent logis, mais m'étant au passage rendue compte qu'il existait encore d'autres ailleurs, je pris la décision de partir, lorsque j'eu environ 18 ans.
Je glissais un peu de poison dans le repas du soir de mon départ, et je filais à toutes jambes, emportant tout ce que je pouvais emporter, que je pensais indispensable - oui principalement de l'or, et ?
A cette époque, la caravane se trouvait au niveau d'Heiron. Et je courrais vers cette nouvelle région, que j'aimais déjà énormément : elle était belle, verdoyante, contrairement au désert de mon enfance. Et surtout, elle était pour moi, synonyme de liberté.
Je vécu un temps dans la rue, près de la nouvelle porte. Puis, un clerc me recueillie, ayant pitié de moi.
Il avait aussi surtout compris que j'étais une Daeva et donc, pas n'importe quelle humaine.
Il m'apprit à voler, à soigner, à me défendre. Il m'enseigna aussi les usages de la société normale - et j'eus bien honte de ce dans quoi j'avais pu vivre précédemment. En bref, il fit de moi, quelqu'un de "normal".
"Mais si tu dis avoir toujours vécu avec des Shugos, c'est que tu ne sais donc pas qui sont tes parents ? Ne veux-tu pas chercher à les connaître ? A savoir ce qui a bien pu leur arriver ? Et les hommes, de la caravane, ne veux-tu pas chercher en quoi leur trafic était si étrange, où ils voyageaient et dans quel but ? Le monde, la vie, le destin, a des comptes à te rendre je crois .. Pas toi ?"

Et c'est ainsi, que je me lançais sur les traces de mon passé ... Celui que ma mémoire occulte, celui qui me laisse songeuse, celui qui laisse rouge de honte. Je suivis plusieurs pistes, toujours encouragée par mon précepteur. J'en vins à conclure que peut-être, des Balaurs étaient impliqués dans ce qui m'était arrivé. Des Lépharistes avaient sans doute aussi joué un rôle là-dedans, peut-être la caravane à laquelle j'avais prit part en était une branche, un satellite. Quant aux Shugos, après maintes recherches, j'ai cru comprendre que ceux-ci pactisaient ailleurs qu'en Elyséa. Où ? Il est dur de faire cracher un secret à ces boules de poils, surtout celui-ci : même contre tout l'or d'Elyséa, il semble que ce soit encore trop peu face au risque qu'ils encourent en le révélant.

Et c'est là, que je trouvais sur ma route, au fil de mes recherches, la Légion d'Astréos. Ce nouveau départ, qui semble me pousser vers la bonne direction, me redonne aujourd'hui l'espoir de trouver des solutions, et d'enfin en finir, avec toutes ces questions sans réponses, qui semblent se succéder de plus en plus, au fur et à mesure que j'avance sur cette route parsemée d'embûches.